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El Watan (Algiers) : « Le Maroc est la cause de l’impasse actuelle »

«Le Maroc est la cause de l’impasse actuelle»
A la une International
Jacob Mundy. Spécialiste des conflits et enseignant à l’université Colgate (Etats-Unis)

le 14.04.16

Inscrit depuis 1966 sur la liste des territoires non autonomes — et donc éligible à l’application de la résolution 1514 de l’Assemblée générale de l’ONU portant déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux —, le Sahara occidental est la dernière colonie en Afrique, occupé depuis 1975 par le Maroc qui est soutenu par la France. Jacob Mundy, enseignant à l’université Colgate de New York, explique les raisons des récentes attaques dirigées par le Maroc contre le secrétaire général de l’ONU.

– Les relations entre le Maroc et les Nations unies se sont considérablement détériorées depuis la visite, en mars, de Ban Ki-moon dans les camps de réfugiés sahraouis. Vous attendiez-vous à une telle situation ?

J’ai été surpris de voir le secrétaire général de l’ONU afficher ouvertement une pareille hostilité à l’égard du Maroc. La source de cette hostilité est bien connue. Durant des années, le Maroc a refusé de travailler avec son envoyé personnel pour le Sahara occidental, l’ambassadeur Christopher Ross. Dans le passé, le secrétariat a montré certains signes de frustration, mais cela est resté discret et gardé sous silence.

Quand le Maroc a décidé de bloquer la visite de Ban Ki-moon dans les territoires (cela inclut aussi le refus d’accorder à son avion l’autorisation d’atterrir à El Ayoun), ce fut la goutte de trop… le coup final. En affichant sa frustration publiquement, le secrétaire général de l’ONU a créé un précédent. De Waldheim à Annan, les secrétaires généraux de l’ONU ont généralement été plus favorables au Maroc qu’au Front Polisario.

– Que pensez-vous des raisons invoquées par le Maroc pour essayer de disqualifier Ban Ki-moon et l’approche de l’ONU du conflit ?

Les Marocains n’aiment pas entendre la vérité à propos du Sahara occidental. La vérité est que le Sahara occidental est le dernier territoire non autonome d’Afrique. De plus : selon les documents de l’ONU, l’Espagne est officiellement la puissance administrante. Donc, si l’Espagne est la puissance administrante et que le Sahara occidental est non autonome, alors quel est le statut légal du Maroc dans ce territoire ? Cela ne peut être autre chose qu’une occupation.

Ban Ki-moon a dit la vérité quand il a défini la situation comme une occupation. L’Assemblée générale de l’ONU a aussi qualifié la situation d’occupation. L’avis légal émis en 2002 par les Nations unies sur la question est aussi clair. En fait, quand Ban Ki-moon a qualifié le Sahara occidental de «territoire occupé», il a parlé simplement d’un fait reconnu comme tel par la loi internationale.

– Comment décryptez-vous la décision du Maroc d’expulser les membres de la composante politique de la Minurso ? Quel message le roi Mohammed VI a-t-il voulu délivrer ?

Le Maroc a toujours eu une relation inconfortable avec la Minurso. Tout d’abord, le nom de la mission onusienne reconnaît que sa vocation est d’organiser un référendum d’autodétermination. Le cessez-le-feu n’était pas le but principal de cette mission. Il ne s’agissait là que d’une étape dans le processus devant mener à l’organisation d’un référendum sur l’indépendance.

Le Maroc s’en est quand même accommodé. Le cessez-le-feu et les observateurs militaires onusiens le long de la berme sont devenus très utiles pour Rabat. Le Maroc sait que beaucoup de Sahraouis veulent que le Polisario reprenne la guerre. Rabat utilise donc les forces de maintien de la paix de la Minurso pour garder un œil sur le Polisario et dissuader les Sahraouis de se lancer dans une nouvelle lutte armée.

Cependant, l’administration civile de la Minurso est un problème pour le Maroc vu la pression internationale grandissante en faveur de la surveillance des droits de l’homme dans les territoires occupés, surtout que la demande est soutenue par les gouvernements américain et britannique.

Si la Minurso est mandatée pour surveiller les droits de l’homme, ce sera forcément ses administrateurs civils qui se chargeront d’accomplir la mission. A certains égards, la Minurso a déjà surveillé les droits de l’homme de façon informelle. Le Maroc a donc fait une action préventive destinée à empêcher la Minurso de surveiller les droits de l’homme.

– Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) vient de se dire «inquiet» au sujet de la situation dans la région. Pour l’UA, la décision du Maroc d’expulser les membres de la composante politique de la Minurso «menace la sécurité régionale». Partagez-vous la même inquiétude ? Pensez-vous que la situation pourrait un jour dégénérer si rien n’est fait pour résoudre ce vieux conflit ?

Je partage les préoccupations de l’UA. Les tensions ne cessent d’augmenter au Sahara occidental. Néanmoins, il est peu probable que le Front Polisario se lance, dans un avenir proche, dans une guerre et cela par respect pour l’Algérie qui se débat avec la question de l’«après-Bouteflika». Le Maroc, quant à lui, attend tout simplement l’élection d’un nouveau président aux Etats-Unis. Il espère une deuxième Administration Clinton qui signifiera probablement le soutien total des Etats-Unis pour «l’autonomie».

Mais si le Maroc et le Conseil de sécurité des Nations unies continuent à fermer toutes les issues qui conduisent concrètement vers un référendum, il est difficile d’imaginer qu’il n’y aura pas de manifestations du conflit. Cela sous une forme ou une autre. Après, AQMI et Daech pourraient tirer profit d’une telle situation, comme ils l’ont déjà fait au Mali.

– Pourquoi le Conseil de sécurité n’a pas condamné l’attitude agressive du Maroc envers le secrétaire général de l’ONU, comme cela a été demandé par Ban Ki-moon lui-même ? Comment le Maroc peut-il se permettre de défier ainsi la communauté internationale ?

La réponse est simple : c’est la France. Le gouvernement français a toujours soutenu le Maroc au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. La France est au Maroc ce que les Etats-Unis sont à Israël. Quand il y avait un consensus total sur le plan Baker en 2003 — qui aurait pu résoudre ce conflit en 2010 —, la France avait sonné la charge et s’y était opposée. Depuis lors, le Maroc ne cesse de se sentir conforté et renforcé dans son attitude. Ban Ki-moon est également sur le point de terminer son mandat. En France et aux Etats-Unis, le Maroc est plus important qu’un secrétaire général sortant.

– Qu’est-ce qui empêche concrètement le règlement du conflit du Sahara occidental, conformément aux résolutions pertinentes des Nations unies ?

Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU appellent actuellement une solution politique négociée qui permettra un référendum d’autodétermination au Sahara occidental. Le Polisario est prêt à discuter de l’autonomie dans le contexte d’une solution politique qui équivaudrait au final au vote d’un statut définitif. Cependant, le Maroc estime que sa proposition d’autonomie avancée en 2007 est la solution optimale, même si elle ne prévoit pas de référendum d’autodétermination.

C’est le Maroc qui a généré l’impasse. Mais le Conseil de sécurité ne veut pas mettre de pression sur le Maroc. Et cela, même pas au plan du discours. Comme nous l’avons vu durant les derniers événements, le Maroc est prêt à tout pour parvenir à ses fins, y compris exploiter comme il l’a fait un événement sans conséquence (visite de Ban Ki-moon) ou créer une crise régionale.

– A votre avis, que devons-nous attendre de la prochaine réunion du Conseil de sécurité sur le conflit du Sahara occidental ?

Le rapport du secrétaire général de l’ONU a été retardé. Il semble donc qu’il y ait actuellement des tractations et un intense travail de coulisses. Il n’en sortira probablement pas grand-chose. La dernière fois que nous avons assisté à une levée de boucliers du Maroc concernant la surveillance des droits de l’homme dans les territoires sahraouis occupés, le Conseil de sécurité de l’ONU avait fini par trouver le moyen de le calmer. Un processus similaire est probablement en cours.

Bio express

Spécialiste du Maghreb, Jacob Mundy anime actuellement un cours sur la paix et les conflits à l’université Colgate de New York. Il a particulièrement travaillé sur les conflits armés et les interventions humanitaires en Afrique du Nord, une région où il a séjourné de nombreuses fois.

Jacob Mundy a publié des articles très fouillés sur le conflit sahraoui dans plusieurs revues spécialisées. Le dernier remonte à 2014 et est intitulé «Sahara occidental : La résistance non violente comme dernier recours». Il a été coécrit avec Stephen Zune. Jacob Mundy est diplômé des universités d’Exeter et de Seattle.

Zine Cherfaoui

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«La Marche verte est la façade civile d’une invasion militaire»

Au grand dam des populations sahraouies représentées par le Front Polisario dès 1973, le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est colonisé en 1975 par le Maroc. Hassan II y envoie, le 6 novembre, des Marocains pour l’envahir, avant de lancer une offensive armée contre les Sahraouis. L’attaque marocaine est même appuyée par des bombardements massifs. Le peuple sahraoui lutte depuis plus de 40 ans pour son droit à l’autodétermination. Dans les territoires sahraouis occupés par le Maroc, la vie des Sahraouis est marquée par la répression et le harcèlement constants. Le Sahara occidental est aujourd’hui la dernière colonie d’Afrique. Spécialiste des conflits au Maghreb, Jacob Mundy de l’université Colgate (New York) explique le stratagème mis en place par le roi Hassan II pour accaparer ce territoire.

– Cela fait maintenant 40 ans depuis que le Maroc a envahi le Sahara occidental. Pourquoi l’ONU n’arrive toujours pas à régler ce conflit conformément à la légalité internationale ?

Actuellement, l’Organisation des Nations unies a un double discours sur le Sahara occidental : le Conseil de sécurité appelle à la fois à une solution politique et à une solution qui respecte le droit du Sahara occidental à l’autodétermination, conformément au droit international. Ceci est une pure contradiction. Le Maroc rejette l’idée d’un référendum d’autodétermination, et ainsi le Conseil de sécurité a donné à Rabat un pouvoir de veto sur le processus de paix. Dès lors, pour le Front Polisario, la seule façon d’avancer serait de compromettre son droit à l’autodétermination et d’accepter cette injustice comme un fait accompli.

Mais pourquoi les Sahraouis renonceraient-ils à ce droit alors que le Maroc n’a pas fait une offre sérieuse d’une réelle autonomie ?

Cependant, je ne suis pas convaincu que les Nations unies puissent régler cette question, même si le Front Polisario se montre prêt à s’engager dans des négociations dans lesquelles l’option de l’indépendance ne serait pas à l’ordre du jour. Au fil du temps, le statut non résolu du conflit du Sahara occidental est devenu un élément central dans le fonctionnement du régime marocain sur le double plan intérieur et extérieur. Le Maroc se présente comme un modèle de stabilité dans une région instable du monde. Pourtant, comme nous le savons tous, cette stabilité est basée sur un fondement instable, le Sahara occidental.

La monarchie marocaine a utilisé la menace perpétuelle du Sahara occidental pour contrôler la politique intérieure marocaine et maintenir des alliances sécuritaires vitales avec Paris et Washington. Ces processus de «sécurité à travers l’insécurité» sont assez courants en géopolitique ; nous observons ces processus dans les relations-clés des États-Unis comme Israël, l’Arabie Saoudite et le Maroc.

– Pour quelle raison le Maroc refuse, à ce jour, au peuple sahraoui d’exercer son droit à l’autodétermination comme le recommandent pourtant un rapport de la Cour internationale de justice daté du 15 octobre 1975 et de nombreuses autres résolutions de l’ONU ?

Le Maroc refuse le déroulement d’un vote sur l’indépendance du Sahara occidental parce qu’il sera perdant. Cela était clair en 1975 lorsqu’une mission des Nations unies a visité le Sahara occidental et cela est clair aujourd’hui dans les camps de réfugiés et au Sahara occidental.

Les manifestations quotidiennes des Sahraouis qui vivent sous occupation montrent qu’il y a une forte majorité en faveur de l’indépendance. Après 40 ans d’occupation, le Maroc n’a pas réussi à gagner les cœurs et les esprits des Sahraouis. Le Maroc a tenté de gagner le vote dans les années 1990 en inondant l’électorat avec de faux Sahraouis. L’ONU n’a pas accepté cela. C’est la raison pour laquelle le Maroc parle maintenant d’autonomie, sachant qu’un vote légitime n’ira pas en sa faveur.

– D’après vous, pourquoi le roi Hassan II a-t-il organisé la Marche verte le 6 novembre 1975 ? Avait-il le droit d’envahir le Sahara occidental ? Cette marche était-elle pacifique comme le soutient le Maroc ?

Comme les historiens l’ont découvert, les plans marocains d’invasion du Sahara occidental avaient été préparés des années auparavant. Nous connaissons tous l’échec de la «guerre des sables» menée en 1963 par le Maroc contre l’Algérie. Ce qui est moins connu, c’est que Hassan II avait même un plan avancé pour envahir la Mauritanie.

En 1974, quand l’Espagne a annoncé son intention d’organiser un référendum sur l’indépendance du Sahara occidental, le Maroc a intensifié ses efforts diplomatiques en allant à l’ONU et en demandant l’avis de la Cour internationale de justice. Durant les audiences de la Cour, lors de l’été 1975, il était clair que les juges de la CIJ ne pouvaient pas prendre au sérieux les arguments juridiques avancés par le Maroc pour conquérir le Sahara occidental.

Le Maroc ne pouvait même pas démontrer sa souveraineté continue et effective sur le sud du Maroc (Oued Draa)… alors ne parlons pas du Sahara occidental. C’est comme cela que Hassan II a commencé à peaufiner ses plans d’invasion du Sahara occidental. Selon mes recherches, Henry Kissinger a été informé début octobre (deux semaines avant la publication de la décision de la CIJ) que le Maroc allait envahir le Sahara occidental.

Etant donné qu’une invasion militaire directe d’un Etat d’Europe occidentale allait être trop dangereuse, Hassan II a dû forcer l’Espagne à abandonner le Sahara occidental par d’autres moyens. Ainsi, l’idée ingénieuse de la «Marche verte» a été utilisée pour créer une façade civile pour une invasion militaire. Nous devons nous rappeler que la marche «pacifique» de Hassan II a été soutenue par une présence militaire massive dans le sud du Maroc. Hassan II a averti que si Madrid s’opposait à la Marche verte, le Maroc déclarerait la guerre à l’Espagne.

Cette sortie avait mis Madrid dans une situation impossible. Si Franco n’avait pas été en déclin, l’Espagne aurait peut-être résisté à la pression du Maroc. Mais comme les historiens espagnols le révèlent maintenant, l’agonie de Franco a créé une «guerre civile» dans le cabinet espagnol. En fin de compte, un accord secret a été conclu avec le Maroc fin octobre 1975. Dans les faits, l’invasion militaire par le Maroc de l’est de Saguia El Hamra a commencé les 30-31 octobre.

La Marche verte n’était devenue qu’un spectacle pour apaiser une opinion marocaine envahie par une frénésie nationaliste. Seuls quelques milliers de manifestants ont franchi la frontière du Sahara espagnol et… seulement de quelques kilomètres. La grande majorité des participants à la Marche verte est restée au Maroc compte tenu de l’accord conclu avec Madrid. Cela a permis aux deux parties de sauver la face : Hassan II a obtenu sa marche et l’Espagne a quitté le territoire selon ses propres termes.

– En août 1974, l’Espagne, qui souhaite se retirer du Sahara occidental, annonce l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour 1975. Pourquoi Madrid a abandonné cette option et préféré ouvrir des négociations avec le Maroc et la Mauritanie ?

L’Espagne a été contrainte de négocier avec le Maroc et la Mauritanie parce qu’elle a été abandonnée par le Conseil de sécurité des Nations unies, principalement en raison de l’insistance française et américaine qui soutenait que le Maroc avait réussi son invasion. Lorsque la Marche verte a été annoncée, l’Espagne est allée au Conseil de sécurité de l’ONU pour dénoncer l’acte marocain comme un acte menaçant la paix et la sécurité internationales. Le Conseil a été lent à réagir et, à la fin, il n’a jamais fait plus que dénoncer la Marche verte du Maroc. Et quand la dénonciation est venue, la marche avait déjà commencé.

L’Organisation des Nations unies, qui avait été principalement créée pour prévenir une agression dans les affaires mondiales, n’a rien fait pour arrêter l’agression du Maroc contre l’Espagne, ceci parce que Paris et Washington savaient qu’un échec de Hassan II dans la conquête du Sahara occidental marquerait la fin de la monarchie au Maroc.

– Comment voyez-vous aujourd’hui l’évolution du conflit ? De quoi dépend son règlement ?

Il est difficile de voir tout espoir dans le processus de paix de l’ONU maintenant que le Maroc a tenté de rejeter l’ambassadeur Christopher Ross comme envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental. Maintenant, nous attendons tous de connaître le point de rupture des Sahraouis.

Combien de temps encore les réfugiés peuvent-il supporter de souffrir à Tindouf ? Le Front Polisario subit une intense pression pour reprendre la guerre, tandis que l’exploitation et la répression marocaine au Sahara occidental se poursuivent avec peu de protestations de la communauté internationale. Je crains que la situation ira en empirant avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne décide de la prendre au sérieux.

Bio express

Spécialiste du Maghreb, Jacob Mundy anime actuellement un cours sur la paix et les conflits à l’université Colgate de New York. Il a particulièrement travaillé sur les conflits armés et les interventions humanitaires en Afrique du Nord, une région où il a séjourné de nombreuses fois.

Jacob Mundy a publié des articles très fouillés sur le conflit sahraoui dans plusieurs revues spécialisées. Le dernier remonte à 2014 et est intitulé Sahara occidental : La résistance non violente comme dernier recours. Il a été coécrit avec Stephen Zune. Jacob Mundy est diplômé des universités d’Exeter et de Seattle.

Zine Cherfaoui

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Interview with Jacob Mundy in “El Watan,” leading Algerian francophone daily

«Le Maroc semble incapable de gouverner sans la violence»
A la une International
Professeur Jacob Mundy. Spécialiste du Sahara occidental à Colgate University
le 21.05.13
Zine Cherfaoui

Le peuple sahraoui a célébré, hier, le 40e anniversaire du déclenchement de sa lutte armée contre l’occupation marocaine, après avoir commémoré, le 10 mai courant, la création du Front Polisario (10 mai 1973). Spécialiste du conflit, Jacob Mundy, actuellement professeur à Colgate University (New York), décrypte pour nous les enjeux de la dernière réunion du Conseil de sécurité de l’ONU consacrée au dossier sahraoui. Celui-ci (le Conseil de sécurité) a, rappelle-t-on, adopté le 25 avril dernier la résolution 2099 dans laquelle il a réitéré son appel à «une solution politique juste et durable acceptée par les deux parties et qui garantit le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination».

-Comment expliquez-vous le regain d’intérêt du gouvernement américain pour le conflit du Sahara occidental ces derniers temps ?

Ce regain d’intérêt américain est probablement dû au nouveau secrétaire d’Etat américain, John Kerry. Ce dernier soutient le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination depuis de nombreuses années. C’est son collègue, le regretté sénateur Edward Kennedy, qui l’a sensibilisé sur la question du Sahara occidental après qu’il soit lui-même devenu sénateur de l’Etat du Massachusetts. Kennedy a été l’un des premiers sénateurs à soutenir le droit du Sahara occidental à l’indépendance.

L’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, comme chacun le sait, est plus complaisante à l’égard du Maroc pour des raisons personnelles et politiques. Sans Hillary Clinton, la représentante américaine aux Nations unies, Susan Rice, qui est également favorable à la lutte du Sahara occidental, aura désormais plus de liberté au Conseil de sécurité de l’ONU pour faire pression afin d’obtenir l’élargissement à la surveillance des droits humains du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso).

-Quelle est exactement, aujourd’hui, la position des Etats-Unis sur le conflit au Sahara occidental et quels sont les éléments qui contribuent à la définir ?

Si les parties en conflit, c’est-à-dire le Maroc et le Polisario, s’entendent sur un projet d’autonomie, les Etats-Unis vont soutenir. Si celles-ci conviennent d’un référendum sur l’indépendance, Washington va également soutenir. Les Etats-Unis aimeraient voir le conflit du Sahara occidental connaître une solution juridique qui respecte l’autodétermination. Toutefois, l’autodétermination n’a jamais été la priorité de la Maison-Blanche. En revanche, un Maghreb stable constitue la priorité des Etats-Unis. Dans les conditions actuelles, toute solution au conflit du Sahara occidental doit être acceptée par tous du point de vue de Washington.

Les Etats-Unis feront toujours le choix du statu quo en premier dans le cas où une solution menacerait de déstabiliser la région. Ils ne soutiendront donc pas une solution imposée aux parties. L’ancien émissaire de l’ONU, James Baker, avait par exemple souhaité voir le Conseil de sécurité imposer sa solution au Maroc. La Maison-Blanche avait toutefois rejeté l’idée. Inversement, le Maroc, en 2007, voulait imposer sa proposition «d’autonomie» pour le Sahara occidental. La suite tout le monde la connaît : le gouvernement américain l’a rejetée et a choisi la voie des négociations en soutenant la nomination de l’ambassadeur actuel, Christopher Ross. Cette attitude (politique) est déterminée par un intérêt historique : celui de voir s’établir un gouvernement stable à l’embouchure de la Méditerranée. Comme avec l’Egypte, la priorité américaine au Maroc n’est pas le régime en tant que tel mais la stabilité que le régime offre. Toutes les autres considérations, y compris l’Algérie et ses ressources énergétiques, sont secondaires.

-Avant la dernière réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara occidental (25 avril 2013), les Etats-Unis ont présenté un projet de résolution appelant à élargir le mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l’homme dans les territoires sahraouis occupés. Washington a fini par se rétracter à la dernière minute. Qu’est-ce qui explique ce changement d’attitude ?

Les Etats-Unis ont voulu envoyer un signal au Maroc, mais pas au prix de perdre la présence de l’ONU au Sahara occidental. Un veto français aurait mis fin, en effet, à l’existence de la Minurso. Ce n’est dans l’intérêt de personne que cela se produise. Sur la question du Sahara occidental, le Conseil de sécurité utilise le consensus pour adopter des résolutions sur la Minurso. Il y a eu quelques exceptions à cette règle. La dernière en date remonte à février 2000, lorsque les Etats-Unis et la France ont abandonné le processus référendaire pour protéger le nouveau roi, Mohammed VI. Avec un vote, il n’aurait pas pu gagner. Cela fut une réunion du Conseil de sécurité très controversée.

-Pourquoi, d’après-vous, la France s’oppose à la surveillance des droits humains au Sahara occidental?

Si elles avaient obtenu l’élargissement des prérogatives de la Minurso, les Nations unies auraient eu largement la possibilité de documenter les violations quotidiennes des droits humains par le Maroc. C’est la raison pour laquelle la France s’oppose à la surveillance des droits humains au Sahara occidental. Le Maroc semble être incapable de gouverner le Sahara occidental sans l’usage de la violence, la peur et le contrôle de la société. Le suivi régulier des droits de l’homme conduirait nécessairement à une intervention plus importante de l’ONU (envoi par exemple de rapporteurs spéciaux sur la torture et les exécutions sommaires). Des poursuites de la CPI pourraient même être envisagées.
-Avant qu’elle ne change, la proposition américaine a donné des sueurs froides au Maroc. C’est probablement la première fois que les Etats-Unis mettent en difficulté leur allié traditionnel dans la région. Qu’est-ce qui explique la montée au créneau de Washington ? Les Etats-Unis sont-ils en train de revoir leur politique maghrébine ?

Non, il ne s’agit pas d’une révision radicale de la politique américaine à l’égard du Maghreb ou du Sahara occidental. Sous l’Administration Obama, les Etats-Unis n’ont cessé d’exercer des pressions sur le Conseil de sécurité pour qu’il élargisse le mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l’homme. Les Etats-Unis ont souvent rappelé à l’ordre Rabat concernant les violations des droits de l’homme. Mais cela s’est toujours fait avec beaucoup de discrétion. En avril 2013, cela a changé. Depuis 2003 (plan Baker), c’est effectivement la première fois que les Etats-Unis s’opposent ouvertement au Maroc. Mais dans les deux cas, Washington tentait en réalité de pousser le Maroc à gagner les cœurs et les esprits des Sahraouis.

-A votre avis, pourquoi le Maroc ne veut pas entendre parler d’un référendum d’autodétermination au Sahara occidental ?

Du plus petit village du Haut-Atlas jusque dans les rues de Casablanca, il est difficile de trouver une divergence d’opinions sur la question du Sahara occidental. En privé, les Marocains remettent en question les «lignes rouges» traditionnelles de la société (la monarchie, l’islam, l’armée, etc.), mais pratiquement aucun ne remet en cause la question du Sahara occidental. C’est un accomplissement incroyable de l’idéologie nationaliste ! La plus grande victime de cette idéologie est le roi lui-même.

-Comment ça ?

Il est dit quelque part que les rois sont les pions de l’histoire. Personnellement, je pense que Mohammed VI est le pion d’une histoire qu’il n’a pas écrite. Il doit suivre l’histoire que son défunt père, le roi Hassan II, lui a léguée. Celle-ci ressemble beaucoup à la tragédie d’Hamlet. Mohammed VI subit. Il est gouverné par des fantômes. A l’inverse, Hassan II a été brutal mais respecté. Même les dirigeants du Polisario pourraient dire : nous aurions pu travailler avec Hassan II mais pas avec ce nouveau roi et son régime. La raison est que Hassan II a obtenu son trône en survivant à des moments très difficiles et en prenant le Sahara occidental de l’Espagne. En somme, seul Hassan II a pu prendre le Sahara occidental et donc lui seul aurait pu le rendre. Mohammed VI n’a pas pris le Sahara occidental. Il n’a donc pas le droit de le rendre. Plus de trois décennies après, le Sahara occidental est devenu la chasse gardée de puissants intérêts dans l’armée et le makhzen. Le fait aujourd’hui que la pêche et l’exploitation des phosphates soient très rentables n’incite pas le Maroc à abandonner ce territoire.

-Comment voyez-vous l’évolution du conflit ?

Dans mon livre et sur le site web de Foreign Policy (Politique étrangère), j’ai soutenu que Washington n’interviendra dans le conflit du Sahara occidental que s’il devient une crise majeure et menace de déstabiliser le Maroc. Si, aujourd’hui, le Timor oriental est indépendant c’est parce que Bill Clinton a été forcé de faire un choix : permettre qu’un second génocide s’y produise ou dire à l’Indonésie de se retirer. Moubarak est parti parce qu’Obama a été aussi forcé de faire un choix, en particulier lorsque les travailleurs ont menacé de bloquer le canal de Suez. La même logique s’applique au Sahara occidental. Jusqu’à ce que les Etats-Unis soient obligés de faire un choix au Sahara occidental, ils choisiront toujours de ne pas choisir.